vendredi 1 avril 2011

Ohlala n°194 (Homeless in NYC)

Et si on parlait des SDF ?
Après tout, je fais un stage dans une association qui aide les SDF, il serait peut-être temps que j'en parle ici.

Je rappelle, pour ceux qui auraient loupé les explications du début, que CH est une association fondée par des hommes d'Eglise, de religion catholique, afin d'héberger les jeunes sans abris de New York. Petit à petit, l'organisme a pris de l'ampleur et a gagné en ambition autant qu'en renommée. Il y a maintenant des foyers d'accueil dans 22 villes aux Etats-Unis, au Canada et en Amérique centrale/latine Nord.

La force de cette association, c'est qu'ils ne se contentent pas d'offrir un lit et une brosse à dent aux gens. Ils ont différents programmes pour remettre sur pied ceux qu'ils appellent les "kids" et qui ont entre 16 et 25 ans.
Des programmes courts pour leur offrir un toit le temps que la situation familiale s'apaise, qu'ils retrouvent un job ou un appart.
Des programmes plus longs de logement de transition, au cours desquels ils apprennent à gérer un budget, à passer des entretiens d'embauche, à comprendre les règles à respecter pour s'intégrer au reste de la société alors qu'ils n'ont parfois pas eu des parents très exemplaires.
Des programmes pour les mères, pour qu'elles apprennent comment élever leur bébé autrement qu'elles ont été élevées elles-mêmes.
Des programmes pour recevoir un accompagnement médical, que ce pour la tuberculose, le VIH, une addiction ou une maladie mentale.

Ce que j'ai découvert, en 7 mois, c'est qu'il y a beaucoup plus de raisons qu'on ne le pense de ne plus avoir de toit au-dessus de la tête.
Bien sûr il y a les gamins qui fuguent, ceux qui se font expulser parce qu'ils passent + de temps à se droguer qu'à chercher un travail pour payer leur loyer, ceux qui ne font pas d'effort pour jouer le jeu de la vie en société.

Mais il y a aussi, et surtout, des enfants qu'on a retiré à leurs parents, qui ont passé leur adolescence de famille d'accueil en famille d'accueil et qui, le jour de leurs 18 ans, sont mis dehors puisqu'ils ne rapportent plus d'alloc.

Il y a des filles qui ont un travail, qui tombent amoureuse d'un gars, qui se retrouvent enceinte et qui se font jeter de chez leurs parents parce que le garçon n'appartenait pas à la bonne communauté ou ne plaisait pas à sa belle-famille.

Il y a des adolescents qui sont schizophrènes et qui n'ont même pas été diagnostiqués parce qu'ils ne vont jamais voir un médecin à cause de l'absence de sécurité sociale.

Il y a des enfants dont les parents meurent, qui se retrouvent à l'autre bout du pays recueillis par des membres de leur famille qu'ils connaissent à peine et qui n'avaient pas du tout prévu de s'occuper d'eux. Et qui ne s'occupent donc pas d'eux.

Il y a des gens qui font une tentative de suicide et quand le propriétaire de leur appart l'apprend, il les met dehors pour ne pas avoir d'ennui.

Il y a des enfants qui fuient des parents qui les battent ou qui les donnent en pâture à leur dealer contre un stock de came. J'ai lu le témoignage d'une jeune fille qui est devenue l'esclave sexuelle du proxénète/dealer de sa mère dès l'âge de 5 ans.

Il y a des lycéens dont le père se retrouve au chômage, commence à boire, à devenir violent, frappe sa femme et finalement ses enfants, jusqu'au jour où l'aîné rentre du lycée et trouve ses affaires sur le trottoir, porte d'entrée fermée à clé, parce que son père vient de décider qu'il était temps qu'il apprenne "la vraie vie".

Et tous ces gens, qu'ils soient gentils ou cruels, qu'ils aient pourri la vie de leurs parents ou qu'ils aient tout fait pour les soutenir, qu'ils aient envie de s'en sortir ou qu'ils aient décidé de vouer une haine éternelle à "la société", se retrouvent avec la même étiquette : "le SDF qui fait chier".

Et pourtant, on ne les voit pas tant que ça.
A Paris, sur certains trottoirs, chacun a son emplacement de mendicité réservé. Par exemple tous les matins en allant rue St Guillaume, je croisais avec quelques variantes la vieille dame ronde avec son chiot à côté de la boutique Hugo Boss, la jeune fille voilée qui passe des heures le visage contre le trottoir du boulevard St Germain la main tendue devant elle, le groupe de punks à chiens de la station St Germain, la femme au visage brûlé par le soleil et au regard vide à côté de la Croissanterie, l'homme aux yeux bleus du distributeur de La Poste.

A New York, ça n'existe pas, parce qu'ils n'ont pas le droit de rester assis par terre.
Les policiers leur demandent de bouger dans le cas contraire.
Donc on ne les voit pas quand on est dehors.
On ne les voit que dans le métro, quand ils passent d'un wagon à l'autre en récitant le discours le plus convaincant qu'ils aient pu imaginer.
Une fois, j'ai croisé un homme qui parodiait toutes les annonces de sécurité qui résonnent à longueur de temps dans les stations en proposant aux gens d'échanger leur monnaie contre un sourire.
Les "mendiants" sont d'ailleurs plus "créatifs" ici qu'en France, chacun a son petit discours original, très peu jouent de la musique (ça aussi ce doit être interdit à mon avis).

Chose étonnante que j'ai beaucoup moins observée en France : certes, les gens font en général comme s'ils n'entendaient pas et refusent tout contact visuel avec celui ou celle qui appelle à la générosité des autres pour survivre, mais il suffit qu'une personne sorte son porte-monnaie pour sortir un billet d'1$ pour qu'un quart du wagon fasse de même. Et, paradoxalement, moins il y a de monde dans un wagon et plus il y a de gens qui donnent.

En fait, cela s'explique probablement comme ça : quand le wagon est bondé, c'est + facile de faire celui qui n'entend pas, celle qui est trop coincée entre ses voisins pour aller fouiller dans son sac et on est si nombreux qu'on laisse facilement aux autres la responsabilité de faire un geste à notre place.
Alors que dans un wagon où il n'y a qu'une vingtaine de passager, si ton voisin donne, il est évident qu'il va voir que toi tu ne donnes rien. Et tout le wagon le voit tendre son billet. Et tout le wagon te voit ne pas tendre de billet. Le regard des autres et le politiquement correct étant encore + important aux USA qu'en France, je crois que les gens se sentent davantage honteux et égoïste s'ils font les sourds devant tout le monde. 
Et puis, de façon générale, la société souligne beaucoup + qu'en France l'importance de la générosité et du soutien mutuel.
La 3ème raison qui, à mon avis, pousse les gens à donner, c'est le phénomène de groupe. Si une personne file une pièce à un type, c'est son problème. Si une deuxième puis une troisième personne font pareil, il y a comme une sorte de reconnaissance du besoin particulier de cet individu particulier, c'est le signe que le groupe de ceux qui n'ont pas de problème de logement ont validé le discours de celui qui vient de demander de l'aide, ils y ont reconnu des valeurs communes (le patriotisme, une religion, un membre de leur famille, l'humour...). Donc plus il y a de gens qui sortent de l'argent, plus il y a de signaux que cette personne-là doit être aidée, parce qu'elle a l'air de le mériter, parce qu'on pense que ça va l'aider à revenir "parmi nous" et tous ces signaux encouragent ceux qui n'avaient pas forcément été touchés par la petite tirade à suivre malgré tout ce mouvement de reconnaissance sociale.

Pour vérifier cette impression, j'ai parfois attendu quelques secondes avant de sortir mon porte-feuille. Quand personne ne réagissait, je laissais celui ou celle qui venait de parler passer devant moi puis je l'appelais pour lui donner un dollar. Systématiquement, juste après, quatre ou cinq personnes se mettaient à fouiller dans leurs poches pour trouver quelque chose à leur tour.
Les fois où j'ai décidé de ne pas bouger, en général, personne d'autre n'a bougé.
Parfois, c'est quelqu'un d'autre qui a lancé le mouvement. 
Il est très rare qu'il n'y ait qu'une seule personne qui réagisse.

Et comme cet article est déjà très long, je vous livrerai la suite de mes observations demain.

4 commentaires:

  1. Un donateur anonyme1 avril 2011 à 10:41

    Tout ceci est très bien observé...Les ONG sont faites pour toi, si Dieu le veut, mais il est parfois capricieux...

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  2. Je pense sincèrement que c'est mon article préféré depuis le début. Très intéressantes ces différences que tu as relevées entre Paris et New York, et je souscris à 100% à ton passage sur la très injuste/injustifiée étiquette unique et automatique du "SDF qui fait chier". Ça peut paraître tomber sous le sens de critiquer cette réaction, mais combien de fois je l'aie vue, et même parfois de la part des personnes proches de moi... Je commenterais bien plus longtemps, mais j'ai un peu l'impression que je le dirais beaucoup moins bien que toi de toute façon et que ça serait superflu :)

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  3. Juste, sur le sujet de la peer pressure et de l'influence du comportement des autres sur le nôtre, j'ai lu un article assez intéressant dans le Monde d'il y a quelques jours sur les attitudes écologiques et les incitations au comportement vert, avec notamment ce passage : "Selon une expérience menée dans un hôtel par le psychologue Robert Cialdini et citée par le CAS, 35 % des clients acceptaient de garder leur serviette de toilette pendant plusieurs jours, " pour protéger l'environnement ", comme le suggérait la direction. Ce pourcentage passait à 44 % quand l'incitation précisait que 75 % des personnes ayant déjà occupé la chambre avaient adopté ce comportement. " L'information mentionnant le comportement d'autrui est devenue une norme sociale bien plus efficace que les appels traditionnels à la préservation de l'environnement ", note le CAS."

    Je n'aurais pas dit "bien plus efficace" vu que le pourcentage n'a augmenté "que" de 9 points, mais quand même c'est assez révélateur !

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  4. -> Pauline : Mais arrête de toujours t'excuser de faire de longs commentaires : c'est très bien les longs commentaires ! =)

    Et ton anecdote sur la "peer pressure" est très intéressante. Une différence de 9% je trouve ça vraiment énorme personnellement, parce que le changement se fait uniquement par ce petit ajout sur le comportement des autres. Et ces 9% auraient refusé de garder leurs serviettes dans le cas contraire, en caricaturant ils se seraient rangés dans les "ils nous font chier avec l'écologie" et là, juste parce que "ça fait pas bien" d'exiger qu'on change sa serviette tous les jours, ils ont adhéré au discours, donc l'impact est énorme.

    L'autre intérêt de ton commentaire, c'est qu'il m'a fait réaliser que je trouve ça normal et même nécessaire (puisque tout le monde le fait ^^) qu'on change ma serviette tous les jours quand je suis dans un hôtel, alors que je change pas ma propre serviette de bain tous les jours !

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