Ohlala n°201 (Homeless Shelter)

Maintenant qu'on a parlé des SDF vus de l'extérieur, si on parlait des véritables personnes qui n'ont pas de maison ?

Depuis une semaine, j'ai passé 22h au foyer, à l'étage qui accueille les filles de façon temporaire (30 jours maximum).
Elles ont toutes entre 17 et 21 ans.
Ce soir, elles sont 10 sur 52 à être enceintes (l'une d'elles, qui est plus jeune que moi et pas beaucoup + épaisse, en sera à 6 mois demain).
Si vous croisiez l'une d'elles dans la rue, jamais vous n'imagineriez qu'elles sont SDF.

Déjà parce qu'elles sont habillées comme toutes les Américaines (donc mal, mais ici c'est normal, quand je les accompagne dans la "clothing room" elles se plaignent de ne pas trouver de leggins...). Ce qui est triste c'est que les Américaines se fringuent toutes de façon dégueu, le gilet informe avec inscription contrastante faisant loi, le leggins pouvant être porté tel quel en tant que "bas", l'acrylique trustant la première place sur toutes les étiquettes made in China. Et le pire, c'est qu'elles n'ont pourtant pas réellement mauvais goût puisqu'elles me font tout le temps des compliments sur la façon dont je m'habille (oui en fait je vous ai pas dit mais JE SUIS UNE BLOGUEUSE MODE ahahahah). Donc elles savent ce que signifie "être habillée correctement" mais elles ne le font pas. Il y a des aspects du fossé culturel que je n'arrive toujours pas à saisir.

L'autre chose qui fait qu'on ne devinerait jamais qu'elles sont SDF, c'est qu'elles ne sont pas assises par terre à tendre la main en l'air, bien au contraire, elles bougent sans arrêt dans tous les sens, à vue d'oeil il y a 75% d'hyperactives. Et puis leur langue bouge pas mal aussi, elles ne s'arrêtent absolument jamais de parler. Elles commentent absolument tout ce qui se passe. Et même quand il ne se passe rien, elles le disent. Elles parlent tellement qu'elles n'écoutent à peu près rien de ce qu'on leur dit, d'ailleurs.

Ceci dit, c'est intéressant de les écouter parler.

Une des filles, qui se décrit comme bipolaire, a été devant le juge il y a 2 jours parce qu'elle avait défoncé la gueule de la fille de l'ancienne compagne de son père parce que ladite compagne avait fait prétendre à sa fille que le père l'avait frappée et violée.

Une autre a raconté récemment à la responsable de son dossier comment, en quittant une semaine le shelter, elle est montée successivement dans 3 voitures conduites par des hommes inconnus et comment à chaque fois elle s'est retrouvée à avoir des relations sexuelles avec eux alors qu'elle pensait juste prendre une douche vite fait. En montant dans la 2ème voiture elle est quand même arrivée dans une maison de Brooklyn avec plein de types et pas mal d'alcool, elle espérait qu'on allait lui donner à manger et elle s'est réveillée quelques heures + tard en apprenant qu'elle avait tellement bu qu'elle avait vomi sur ses hôtes mais sans savoir avec combien d'entre eux elle avait eu des rapports sexuels. Et elle a conclu son récit par "En fait j'aimerais bien avoir un bébé". Mmmmh... ok.

La bonne marrade du jour c'était la comparaison des différentes version de la mort de la mère d'une des résidentes. Elle a annoncé hier que sa mère était morte. Puis elle a expliqué qu'elle s'était suicidée. A une des responsables de l'étage, elle a dit qu'elle ne savait pas ce qui avait pu pousser sa mère au suicide. A une autre, elle a dit que sa petite soeur était aussi morte un an + tôt. A une autre, elle a dit que sa mère s'était suicidée à cause de la mort de la petite soeur qui avait été emportée par un cancer de la jambe 3 semaines + tôt. Parfois la mère est morte dans le New Jersey, parfois elle était en vacances à l'autre bout du pays. Elle se serait donc suicidée d'une balle dans la tête en vacances en face de sa petite soeur. Euh, la petite soeur dont la mort l'a poussée au suicide ? Ah non mais en fait c'est son père qui est mort en face d'elle-même quand elle était petite. Mais elle a été adoptée de toute façon. Ceci dit, toutes ces émotions ne l'ont pas empêchée de décrire avec ferveur les magnifiques yeux bleus de son copain à la responsable de son dossier quelques heures après avoir appris la terrible nouvelle. Y a des gens comme ça qui encaissent bien les coups durs.

Forcément, je vous parle de celles qui se font remarquer, mais il y a toutes les autres, qui ne frappent pas à la porte du staff pour réclamer de l'attention, qui partagent une couverture pour regarder la télé enfoncées dans les canapés, qui s'éclatent à participer au cours de danse donné par un bénévole une fois par semaine.

Il y a des connasses et des filles adorables, elles rient et elles s'engueulent, elles ont 20 ans et elles sont comme tout le monde.