dimanche 3 avril 2011

Ohlala n°196 (Homeless in NYC #2)

L'autre jour, je vous ai parlé des SDF de New York.
Mais pas de tous les SDF.
Je vous ai parlé des bons SDF.
Ceux à qui on jette un coup d'oeil quand ils commencent à parler pour demander de l'argent.
Puis qu'on fait semblant de ne pas voir pour éviter de croiser leur regard et de se sentir obligé de donner quelque chose.
Et à qui parfois on donne quand même quelque chose parce qu'il était marrant, parce qu'il a fini son discours par "God Bless You", parce qu'il s'est fait passer pour un ancien Marine, parce qu'il chantait bien (la dernière option étant de loin celle qui fonctionne le moins).

(J'ai choisi cette photo parce que c'est clairement une "fausse" photo réalisée avec un modèle, pas la photo de quelqu'un qui vit dans la rue, parce que je n'aime pas ce genre de photo quand elle est prise sans l'accord de l'autre)

Mais il y a aussi le mauvais SDF.
Celui qui pue.

Et ça c'est quelque chose qu'on ne connaît pas en France, ou plutôt qu'on ne connaît plus (ou presque, ça arrive parfois qu'un type qui dort sur deux sièges en plastique - spécialement designés pour rendre toute sieste super inconfortable - ne sente pas bon). Tout simplement parce qu'en France, on a des structures qui permettent de prendre une douche gratuite. C'est tout con, mais ici ça n'existe pas. Alors parfois, les SDF d'ici, ils sentent mauvais.

C'est étrange comme odeur d'ailleurs. C'est l'odeur de l'humain sale. On ne peut pas savoir ce que c'est avant de l'avoir senti.
C'est l'odeur de l'absence de lien avec le reste de la société.
L'odeur de celui qui ne trouve plus la force de ruser pour aller se laver dans les toilettes des Starbucks sans se faire prendre.
L'odeur de celui qui ne demande plus rien aux autres.

La principale différence entre le bon et le mauvais SDF, c'est que le bon joue encore le jeu de la vie en société. Il demande de l'argent et en filigrane, il fait la promesse que cet argent lui donnera l'impulsion pour se réintégrer à la vie "normale". On donne à celui auquel on s'identifie, plus ou moins. Donc à celui qui démontre, ne serait-ce qu'en s'adressant à nous, qu'il est un être humain comme les autres qui traverse une période de galère.

Le SDF qui pue, il ne parle pas.
Il ne regarde plus les gens non plus.
Le bon SDF il essaie de croiser ton regard pour créer une connexion, pour communiquer quelque chose (pitié, détresse, volonté de s'en sortir, humour, complicité - dans l'ordre croissant de capital sympathie).

Le mauvais SDF n'essaie plus de changer. Et ça, aux Etats-Unis, baisser les bras, c'est pas bien. Si t'es pas un "battant", un "winner", eh ben t'es un "loser", y a pas de place entre les deux. Et ne pas respecter les normes, c'est encore + "mal" ici que de l'autre côté de l'Atlantique. Or sentir bon est une norme (un peu trop respectée par certaines femmes le samedi soir).

L'odeur du mauvais SDF est d'autant + frappante que dans le métro new-yorkais, alors même qu'il y a des rats, des ruisseaux d'eau et des ordures entre les rails, il n'y a pas de mauvaises odeurs. A Paris, on ne compte plus les couloirs qui sentent l'urine ou les égoûts. Ici, rien.

Et visiblement, les petits museaux raffinés de New-York ne sont pas du tout habitués à endurer une odeur qui ne sort pas de chez Séphora.

Ce qui nous amène à l'attitude la + révoltante de toutes celles que j'ai pu observer en 7 mois.
Les gens qui se trouvent confrontés à un SDF qui sent mauvais commencent par froncer vigoureusement les sourcils. Puis ils tournent la tête dans tous les sens pour voir qui est le responsable. Ils le fixent, toujours les sourcils froncés, avec une expression faciale oscillant entre le courroux et le dégoût. Puis ils se regardent entre eux, à petits coups d'oeil, pour signifier aux autres que oui eux aussi ils ont bien senti cette horrible odeur-mais-c'est-un-scandale.

S'ils en restaient là, après tout, même si je trouve ça agaçant, je pourrais comprendre, parce que l'odeur est effectivement désagréable et souvent forte.

Mais non. Ils ne s'arrêtent pas là.
Les femmes sortent un mouchoir et se tamponnent le nez comme si elles étaient enrhumées.
Ce n'est pas une blague. Elles font toutes ça. Toutes avec l'air détaché de la fille qui fait ça comme par hasard au moment où il y a une mauvaise odeur.
Comme ce n'est pas très crédible de tamponner son nez en continu, elles font ça par petite touche. Elles s'arrêtent 30 secondes et puis elles recommencent. Rahlala c'est qu'on s'enrhume avec toute cette climatisation.
Plusieurs fois, j'ai même vu des filles sortir une petite bouteille de parfum et en verser une goutte sur leur mouchoir.

Le petit jeu dure 3 minutes.
En général, à la station suivante, les portes restent grandes ouvertes plusieurs secondes et il y a suffisamment d'air "frais" qui s'engouffre dans la rame pour que leurs petites simagrées s'arrêtent plusieurs secondes.
Mais au bout d'un moment, ça ne suffit plus.

Alors, innocemment, les gens se lèvent et marchent à l'autre bout du wagon pour aller s'asseoir plus loin. Ceux qui restent se lancent des petits regards gênés pour savoir quoi faire, parce que ça va un peu se voir que tout le monde s'éloigne. Les femmes ont abandonné la technique du mouchoir et tiennent ostensiblement leur écharpe ou la manche de leur manteau par-dessus la partie basse de leur visage. Mais bon de toute façon, le SDF qui pue reste toujours assis les yeux baissés, parfaitement immobile. Donc en fait il le verra pas si on s'éloigne. Hein, il le verra pas ? Bon allez de toute façon ça sent vraiment mauvais alors on s'éloigne.

Si le SDF (je dis tout le temps "le" parce que je n'ai vu que des hommes dans cette situation) reste dans le wagon plus d'un quart d'heure, il sera rapidement complètement seul avec la moitié du wagon rien que pour lui. Les passagers, au départ à peu près discrets, auront tous fini par migrer plus loin - voire par changer de wagon. Ceux qui ont moins de 25 ans l'auront fait en poussant des gloussements le moins discrètement possible.

A chaque fois que je sens l'odeur de ces hommes, je me sens mal. Pas mal à cause de l'odeur, parce qu'elle n'a absolument rien d'insupportable. Ce n'est pas une odeur agréable, certes, mais comme toutes les odeurs on s'y habitue en quelques minutes et très vite on ne la sent plus (sauf quand on se bouche le nez, forcément, ça la ravive à chaque fois connasse). C'est bien pour ça d'ailleurs que celui qui ne s'est pas lavé depuis longtemps ne s'asphyxie pas, figurez-vous.
Si je me sens mal, ce n'est pas à cause de cette odeur caractéristique. C'est à cause de la réaction inévitable des autres.
Quand je les vois tamponner leur nez et ricaner, j'ai honte de faire partie de "la société".

C'est dans ces moments-là que j'ai le plus regretté de ne pas avoir suffisamment fait d'efforts pour apprendre à parler anglais.
Si je m'exprimais aussi facilement en anglais qu'en français, je pourrais faire autre chose que de regarder avec le plus de mépris possible tous ces connards qui se croient dans leur bon droit.
Le mépris est le sentiment que je déteste le plus. C'est pour ça que je le réserve aux gens les plus méprisants.

C'est dans ces moments-là que je voudrais avoir un tout petit peu + de courage, presque rien, j'ai presque atteint mes limites la dernière fois, si je restais deux mois de plus je finirais probablement par le faire : regarder les femmes aux mouchoirs dans les yeux et leur dire "you're pathetic". Me lever et aller m'asseoir à côté du gars que tout le monde fuit. Et engager la conversation, exactement comme les gens font dans le métro avec leur voisin en costard (ceci dit, leurs jeux sur iPhone sont tellement de plus en plus passionnants que ça arrive de moins en moins souvent).

La seule chose qui m'empêche de faire ça, ce n'est certainement pas ce que les gens penseraient, parce que c'est l'une des rares situations dans laquelle je suis tellement en désaccord avec leur attitude que je les emmerde profondément (et comme ça, tous égaux côté olfactif).
Ce qui m'empêche de le faire c'est juste que je parle mal anglais, que j'ai un accent (très) prononcé et que je comprends très mal ce qu'on me dit quand on n'articule pas. Si bien que je ne peux pas aller leur parler parce que ça se transformerait vite en dialogue de sourd. Et mon but en faisant ça, ce n'est pas de nous rendre tous les deux ridicules, c'est au contraire de suggérer à tous les autres que ce sont peut-être bien eux les ridicules.

Et pourtant, j'aimerais bien savoir ce qu'ils ont à dire, tous ces gens qui ne parlent plus. Et j'aimerais bien qu'ils sachent que tout le monde n'est pas dégoûté par leur existence. Leur montrer que "les gens normaux" ne sont pas tous identiques, exactement comme "les SDF" ne forment pas une population uniforme. Et puis surtout, j'aimerais rappeler aux petits nez offensés que quelque soit notre histoire, nous serons toujours tous des êtres humains.

4 commentaires:

  1. Je suis sûr qu'avant ton départ tu en auras le courage :)

    Phoque.

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  2. Je confirme, j'ai bien vu ces braves dames se tamponner le nez, mais comme j'avais le cerveau lent à cause du froid sans doute, je n'ai pas compris tout de suite que le but du geste était de se boucher le nez et non de le déboucher...
    Et puis il y a tellement de gens, dans certaines occasions, qui puent le parfum à vous soulever le coeur (l'atmosphère des Séphora et autres magasins du même type est pour moi parfaitement infâme et je n'y suis jamais entrée que pour accompagner quelqu'un) que je crois que les odeurs humaines "animales" -si l'on peut dire- ne me paraissent pas pires.
    Et c'est vrai qu'on est drôlement démuni quand on ne pratique pas suffisamment une langue pour dire aux gens leurs quatre vérités. Ça ne pourrait pas s'apprendre dans les cours de langues vivantes, plutôt que de faire des jeux de rôles à la con comme dans les cours d'anglais-euro? On pourrait fournir aux élèves des listes de vocabulaire à placer dans la conversation, leur faire découvrir les arguments bidon qu'on peut opposer et la signification des grognements inarticulés qu'on peut utiliser comme réponse... Vaste programme !

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  3. -> Mum' : C'est sûr qu'au lycée ce serait + intéressant mais c'est un peu ce que certains profs essaient de faire en organisant des "débats", le problème c'est qu'il faut réussir à trouver des sujets qui motivent les élèves... Une explication des grognements et des intonations, par contre, ça serait drôlement utile !

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  4. La misère n' est pas chose nouvelle, seul l'ignorance renait a chaque nouveau regard...
    Le parfum est naturel( ca c' est sûr), seul le dégout est factice.
    Factice car on se dit civilisé, mais qu' est ce qu'être civilisé?
    On nous dit "aide ton prochain" et on se crache dessus, on nous dit "il n' y a pas de main sale a serrer" mais on s' évite, si le monde est régit par ces codes sociaux exhubérants, limite néandertaliens a vouloir exclure tout ce qui n' est pas connu a coup de masse, alors permettez moi de me retirer je préfère etre martyre juste que boureaux sans savoir réelement porquoi...

    Lynx

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