Cet endroit est fou.
Là tout de suite (il est 1h du matin), il y a de la musique yiddish dans la rue. C'est à 4 blocks et on entend les paroles (quand à les comprendre, c'est une autre affaire). Quand on est sorties du métro, il y avait même un remix de musique traditionnelle assez délirant avec une guitare électrique.
Avec le Clara on n'a pas pu résister même si tout le monde nous regarde avec un petit air étonné, on est allées voir de + près, il y avait des barrières pour bloquer la Kingston Avenue, une scène de concert et plein plein plein de gens massés autour qui dansaient/sautillaient. La densité était trop forte pour permettre des trucs du genre Rabbi Jacob, le trop dommage.
Bon reprenons depuis le début :
- j'ai des bleus sur les genoux : même si ce quartier était horrible, ce qui n'est absolument pas le cas ; même si cet appart était atroce, ce qui n'est absolument pas le cas ; même si la proprio et les colocs étaient débiles et chiants, ce qui n'est absolument pas le cas, il serait hors de question que je déménage une nouvelle fois. Parce que plus jamais je n'aurai la force de porter cette valise. Elle était tellement lourde qu'il m'a fallu 10 minutes pour descendre les 2 étages de mon ancien appartement, je me sentais tel le bousier confronté à une boulette beaucoup trop grosse pour lui. Arrivées au métro, heureusement, un type s'est emparé de ma valise sans vraiment me demander mon avis et quand je lui ai dit que je pouvais l'aider parce qu'elle était vraiment lourde il a rigolé et il a dit "Do I seem weak?" et certes, il ne semblait pas faible, mais quand même, je pense qu'il a pleuré sa maman pendant 24h après s'être probablement à moitié déboîté l'épaule - en gardant un visage impassible, certes, mais je ne peux pas croire qu'il soit humainement possible d'avoir déplacé cette aberration de l'empacketage humain à la force d'un seul bras sur 20 marches. Interrogation philosophique du jour : pourquoi crée-t-on des valises pouvant contenir tellement trop de choses qu'il n'est plus possible de les mouvoir ?
- Le Clara n'est pas faite pour être mère : ça c'était un peu la découverte du jour après qu'elle ait prononcé cette phrase mémorable : "mais moi je suis pas faite pour avoir des enfants, je les laisserais brûler quand je les ferais cuire !"
- Ici on porte les habits du dimanche le samedi : ça c'était ma réflexion christiano-centrée quand on est arrivées dans Crown Heights avec la fameuse valise-cauchemar. Pas un gars n'a bougé pour m'aider à hisser la chose jusqu'à hauteur de rue alors que le milieu d'Eastern Parkway Avenue est recouvert de banc sur lesquels les hommes juifs s'installent au début du shabbat - faut dire que pour venir m'aider il aurait fallu me voir galérer, or j'étais coincée dans les profondeurs obscures et souterraines du métro. Mais comme Clara me parlait du haut des escaliers qu'elle avait gravis gaiement, tout le monde a capté qu'on parlait français et plusieurs types nous ont dit "bonjour" et l'un d'eux nous a même indiqué notre direction dans un français parfait.
Et en fait tout le monde a l'air de parler français ici, en tout cas on a croisé plusieurs groupes de gens qui se parlaient en français et certains nous ont lancé un "bonjour".
Comme c'était le début du shabbat, tout le monde était en train de sortir dans les rues pour aller à la synagogue (enfin on a pensé que c'était dans ce but) et résultat on était les seules à aller à contre-courant des flots d'hommes en noir/barbe/papillottes, c'était assez étrange.
Un gars nous a demandé si on était juives et quand on a dit non il s'est détourné sans ajouter un mot. Quelques blocks plus loin, un petit garçon nous a aussi demandé si nous étions juives et comme le précédent il tenait une petite boîte entre les mains.
Le Clara : "mais sérieux pourquoi ils nous demandent ça ?"
Swan : "sûrement pour nous vendre un truc"
Le Clara : "pourquoi ils voudraient vendre des trucs ?"
Swan : "baaaah... ils sont juifs"
Voilà, c'était la très ignoble blague antisémite du jour, c'est mal, c'est très mal, les enfants, ne refaites pas la même chose chez vous.
- Les Devil's cheesecakes sont vraiment démoniaques : après l'emménagement dans mon nouvel appart trop bien, on est retournées sur Manhattan pour passer la soirée avec Edmond, qui venait sur NY pour le week-end - c'est un pote de ScPo qui est en stage/cours à Washington. On est parties à l'heure où Edmond était censé arriver à Penn Station. J'ai voulu prendre le D (express) pour gagner du temps, mais à 21h il n'y a pas beaucoup de métros, donc c'était une mauvaise idée de choisir l'option "plutôt que de rester dans la rame qui nous emmène direct à destination on va faire un changement". On est restées un gros quart d'heure sur le quai à attendre un D.
On est donc arrivées à Penn Station à 22h... c'est-à-dire 2 minutes avant que le bus d'Edmond n'arrive à destination. Verdict : évitez les bus chinois Washington-NY, à moins que vous ne souhaitiez vous retrouver enfermés + d'une demi-heure pour une pause "essence" enfermés à clés sans lumière et sans clim dans le bus avec à côté de vous une couche de bébé parfumée.
On est allés manger chez Junior's, parce que ça n'était pas très loin et que c'était une valeur sûre (déjà testée 2 semaines auparavant). Cette fois j'ai choisi le bacon cheeseburger et c'était génial (surtout pour à peine 15$).
Puis on a pris un dessert, chacun un cheesecake différent puisque c'est leur spécialité. J'ai pris le swirl chocolate (sorte de cheesecake marbré de chocolat - et là tu te dis que l'anglais parfois a le don d'attribuer le bon son aux choses, il n'y a rien au monde qui décrive mieux les marbrures au chocolat que "swirl"). Edmond a pris un cheesecake a la cerise. Et Le Clara a pris le Devil's cheesecake, ce qui est probablement le dessert le + sucré/fou/unhealthy/génial qu'on puisse faire : du cheesecake entrecoupé de couches de gateau au chocolat et de crème au chocolat. La part faisait presque 15cm de haut et ne tenait en fait même pas debout. En s'y mettant à 3, on en est venu très difficilement à bout. Et après on avait atrocement mal au ventre.
On a donc décidé d'une petite promenade digestive. Pardon. Edmond a exigé qu'on l'accompagne jusqu'à l'endroit où il allait passer la nuit. Tout ça parce qu'il n'est jamais venu à NY, qu'il n'avait pas de plan avec lui et qu'il fallait descendre 30 blocks. Comme nous sommes les filles les + sympa du monde, on a accepté de le guider. On a descendu Broadway entre 1h et 1h30 et il y avait encore plein de monde dehors. Bon après tout s'il n'y avait pas plein de gens sur Broadway à cette heure, où pourrait-il y en avoir ?
- Maintenant je vais faire des cauchemars du métro de New York : une fois qu'Edmond a eu passé le portique de sécurité de la résidence universitaire où un autre ScPo lui avait prêté sa chambre, on a voulu rentrer dormir à notre tour. On était à plusieurs blocks des métros 2 et 3 mais comme c'étaient les seuls qui étaient directs jusqu'à l'appart et que je n'avais pas envie de renouveler l'attente interminable due au changement de tout à l'heure, on a marché jusqu'à la station du 2 et du 3. Ce qui nous a pris + de 20 minutes (donc c'était pas très malin au final). Là Le Clara devait recharger sa carte de métro. On a tenté 2 fois le processus avant de lever les yeux et de découvrir que les machines n'acceptaient que du cash. Ahah. Pendant ce temps, au moins 2 rames sont passées pour nous narguer. Bien sûr, une fois sur le quai, il était 2h et nous avons découvert que le temps d'attente serait de 17 minutes. Je préférais prendre le 3 - qui arrive sur Kingston Avenue en plein quartier juif - plutôt que le 2 - qui arrive dans un quartier qui me semble beaucoup + populaire, mal réputé et un peu + loin de l'immeuble. Donc on a attendu le 3. Qui n'est arrivé qu'après + de 25 minutes finalement. Et qui, arrivé à Chambers Street, a... fait demi-tour. En effet son terminus était bien Chambers Street, parce qu'il remplaçait en fait le métro 1 qui ne roule pas ce week-end pour cause de travaux. Donc on est revenues à notre point de départ, résignées à prendre le 2. Sauf que le prochain était à nouveau dans 17 minutes. Alors on a décidé de prendre un taxi.
- Les préjugés sur les taxi drivers sont tellement en-deçà de la réalité ! J'avais lu dans le Routard qu'il était possible, voire fréquent, qu'un conducteur de taxi se perde une fois hors de Manhattan. Là, on a donné l'adresse au chauffeur qui rongeait un os de poulet (à 3h du matin. Normal) et il nous a dit "désolé mais je sais pas où c'est". Il a rien ajouté et on a compris que ça voulait dire "fin de la communication, sortez, je vais chercher un client + facile, qui reste dans Manhattan".
Hum. Ok. On était plutôt abasourdies.
On a hélé un autre taxi et avant de monter, on lui a demandé s'il acceptait de nous emmener dans Brooklyn. Il a fait "oui oui montez". Je lui ait l'adresse. Et il m'a demandé si je savais comment y aller. Non. Bon bah je suis désolé mais je peux pas vous y emmener alors. J'aurais bien demandé "mais euh vu que vous avez un GPS à 30 centimètres de votre tête, peut-être qu'en entrant l'adresse dedans ça vous guiderait au moins aussi bien que ce que j'aurais fait", sauf que payer 40$ pour voir un gars se perdre dans Brooklyn ça me tentait pas donc j'ai pas trop insisté. On est retournées dans le métro, sans payer, parce que faut pas exagérer, c'était leur faute si on n'arrivait pas à rentrer. Le 2 a fini par nous emmener à destination et on ne s'est pas faites agresser par un gang couvert de tatouages, on a donc enfin pu s'endormir, vers 4h30.
Le lendemain, debout à 10h parce que la future coloc venait faire connaissance (et accessoirement signer les papiers pour emménager). Elle est très sympa, Polonaise, elle fait une thèse sur l'histoire du judaïsme (les migrations polonaises vers Israël si j'ai bien compris) à Columbia.
Audrey nous a fait manger toute sa réserve de fruits, pommes kiwis ananas fraises, c'était trop bien - parce qu'on n'avait rien à manger et qu'on s'était justement promis qu'on mangerait des fruits ce midi pour compenser le repas monstrueux de la veille.
Puis on est retournées sur Manhattan. Sur le chemin vers le métro, on a croisé une femme qui a entendu qu'on parlait français et qui a absolument voulu nous expliquer pourquoi elle était Marseillaise et quelle était l'histoire de sa mère, émigrée d'Allemagne jusqu'aux Etats-Unis avant 1939. Elle nous a tout raconté en français, langue qu'elle ne maîtrisait pas vraiment mais qu'elle prononçait avec un accent très marrant - on ne comprenait pas tout mais c'était mignon. Puis elle s'est mise à arrêter les gens dans la rue pour leur demander s'ils étaient Français, parce que comme c'est "les vacances" il y a plein de Français ici en ce moment - c'est des vacances juives hein, je rassure ceux qui sont complètement déphasés d'avec la France, on n'en est pas encore à la Toussaint là-bas. Une fille a fini par s'arrêter et elle parlait mieux français qu'anglais en fait, elle était super sympa et marrante, j'ai pas pris le temps de lui demander ce qu'elle faisait là exactement, si elle vivait dans le coin ou si elle était juste de passage, en tout cas elle nous a dit que de temps en temps le quartier craint un peu et qu'il y a 2 semaines, il y a eu "un criminel" : il y avait plein de voitures de police après ça, parce qu'il y a eu 7 coups de feu tirés vers 16h, à 2 blocks d'ici. "Enfin je dis pas ça pour vous faire peur hein !". Bah non. Carrément pas.
Une fois arrivées toujours saines et sauves jusqu'à Manhattan (maintenant je vais m'émerveiller d'être en vie à chaque instant), on est passées à Victoria's Secret - magasin de sous-vêtement bondé avec que des trucs plutôt moches puis comme on avait déjà à nouveau faim, on est retournées au Food Emporium acheter des cookies et le fondant au chocolat dont je vous ai déjà parlé. On a aussi pris chacune un muffin aux pépites de chocolat et j'ai acheté un lot de croissants (3$ !! et y en a pleiiin). Bref, du sain et du diversifié.
Puis on a retrouvé Edmond près de Washington Square pour aller manger au Paul Oyster Bar qui était cette fois ouvert ! A 19h, on a pris notre réservation en nous disant de revenir 40 minutes + tard, donc en effet le lieu est plutôt bien rempli. Ceci dit la salle est plutôt petite et les New-Yorkais ont tendance à manger + tôt que les Français - disons qu'en fait 19h c'est l'heure classique pour le dîner. En tout cas on a pris des Lobster Roll (lobster = langouste) et c'était TROP bon ! On avait un voisin assez étrange qui avait décidé de façon complètement désintéressée qu'il nous refilerait tous les plats qu'il ne finissait pas, donc on a eu en prime des coquillages et des moules (il n'a même pas essayé de récupérer notre numéro ou de nous faire la conversation, il avait juste envie de faire découvrir ce qu'il mangeait aux autres apparemment).
Ensuite on avait décidé de rentrer pour dormir tôt, mais bien sûr ça n'est pas ce qu'on a fait. On s'est installés dans Washington Square où il y avait plein de monde et des musiciens et on a parlé de choses très diverses (l'amour est-il une construction de l'esprit ? quand les garçons se servent-ils d'un mouchoir ? auront-nous la force de retourner voir un prochain film de Gaspard Noe après avoir enduré Enter The Void ?)
Les répliques les + étranges de la soirée furent :
Swan : Et si on mangeait les cookies ?!
Clara (regardant dans son sac en plastique) : tu préfères pas un orgasme ?
Finalement on s'est décidées pour les cookies.
Clara (savourant son cookie) : C'est un des rares trucs que je préfère mou...
Swan (choquée) : Oh Clara ! (en fait je crois plutôt que j'ai eu un ricanement lubrique)
Edmond : Ah parce que le caca, tu le préfères... ?
Clara : Euh on met pas les mêmes choses dans notre bouche, Edmond...
Le concert mystère est enfin terminé (il est + de 2h) donc on va pouvoir se coucher (oui le problème c'est qu'on entend pas mal les bruits de la rue ici et que la musique yiddish, au bout de 2h, devient un peu répétitive, mais qu'on l'entend quand même toujours). Le défi maintenant c'est d'apprendre un maximum de truc sur les juifs hassidiques pour 1. s'instruire, 2. savoir ce qu'il se passe dans le quartier et quel était le but de toute cette musique, 3. pouvoir répondre "yes" à la fameuse question "Are you jewish ?" pour savoir ce qu'il y a dans la petite boîte.
Ah et puis ça permettra de savoir ce qu'il faut répondre quand on nous salue, parce que contrairement à ce qu'a suggéré Clara, la réponse appropriée n'est probablement pas "Happy Shabbat !"