Entretien avec le directeur de l'Ecole de comm ce matin.
J'avais prévu d'adapter parfaitement mon discours à ce qu'il avait envie d'entendre.
Et puis au dernier moment, je me suis dit que, de toute façon, même si je lui dis que L'Oréal pue, il peut pas m'empêcher de faire ce master.
Donc je me suis fait plaisir et je lui ai dit que je veux travailler dans une association, pas vendre des couches Pampers.
Il a voulu me mettre en garde et il avait parfaitement raison, il m'a dit que dans ce master on ne me parlerait pas d'Amnesty international et qu'on m'apprendrait comment créer des sites internet et refourguer du shampoing, parce que c'est là que se trouve l'emploi.
Je comprends qu'il ait voulu me prévenir en caricaturant nos visions respectives de la communication.
Il y a pas mal de gens très idéalistes qui disent "je veux bosser dans une ONG" mais qui ne connaissent rien du fonctionnement d'une association et qui ont de jolies idées mais aucun sens pratique. Ces gens sont malheureusement dangereux pour les ONG, parce que ce sont les premiers à vouloir faire le Bien "malgré" tout. Malgré les lois, malgré l'honnêteté, malgré la volonté de ceux qu'on a décidé "d'aider".
Forcément, quand on entend une gamine de 20 ans dire "je veux travailler dans des associations", c'est facile de penser qu'on a affaire à quelqu'un qui veut "faire le Bien" sans savoir de quoi elle parle. Si c'était le cas, Monsieur C. aurait eu parfaitement raison de me dire "Réfléchissez".
Sauf que j'ai tenté de montrer à Monsieur C. que je n'étais pas si "idéaliste" qu'il voulait bien le penser. Je lui ai dit que je savais bien qu'on me parlerait de shampoing. J'aurais pu lui dire la vérité, qui est que ces deux années en communication seront pour moi au mieux une façon de piquer quelques techniques pas trop révoltantes au secteur concurrentiel, au pire une partie de rigolade ironique, au cours de laquelle je ferai bien docilement ce qu'on me demandera pour avoir un diplôme en "communication" à la fin et travailler dans un endroit intéressant ensuite, sans appliquer ce qu'on m'aura dit.
Pour montrer que mon choix ne sortait pas de nulle part, je lui ai expliqué que j'étais allée directement sur les sites des associations qui m'intéressent, que j'avais regardé les offres d'emploi, et que de plus en plus, puisqu'on était dans une tendance à la professionnalisation, les ONG recherchaient des professionnels de la comm.
Ce à quoi il m'a répondu que pour travailler dans une ONG, il faut être médecin ou logisticien. Bonne réponse ... il y a 10 ans. Aujourd'hui, certes l'expérience de terrain compte, mais pour travailler au siège, ce qui est mon but puisque je ne suis pas taillée pour transporter les sacs de riz, on cherche des gens qui ont surtout de l'expérience dans le rôle qu'on leur demande de remplir. Donc, pour les relations avec les donateurs, on cherche des gens qui ont appris à communiquer. Pour le vérifier, allez sur un site d'ONG, rubrique recrutement.
Alors certes, ce que Monsieur C. m'a dit aujourd'hui aurait pu me faire hésiter si mon projet sortait de nulle part et ne reposait sur aucune connaissance pratique du milieu associatif.
Par exemple en me disant "vous avez plus de chance d'aller travailler chez Areva et de sauver des centaines de milliers de vies en vous occupant de rassurer les gens d'EDF qui ont peur de perdre leur travail, en leur expliquant, et ce n'est pas mentir, que les centrales nucléaires françaises sont sûres et qu'on ne va pas sortir brutalement du nucléaire".
Ce que je retiendrai, ce n'est pas le passage sur les milliers de vies sauvées, même si ça fleurait bon le foutage de gueule. Non, ce que je retiendrai, ce sont ces 6 petits mots, qu'il a prononcé en détournant les yeux. "Et ce n'est pas mentir". Quel besoin de le préciser ? Si ce n'est parce qu'il y a sérieusement de quoi douter de l'honnêteté du propos (je ne parle pas de morale, hein, les considérations éthiques c'est pour les idéalistes, on a bien compris).
Quand vous m'avez demandé si j'étais "prête à changer d'avis", je vous ai dit "bien sûr".
Il faudrait nuancer.
J'ai bien conscience d'être passée pour une petite gauchiste butée et vous avez sûrement pensé "les lois du marché finiront par lui faire entendre raison".
La voix de la raison, je l'entends déjà, Monsieur C.
Et elle ne me dit pas d'aller me battre pour être à la table de L'Oréal le soir du gala de fin d'année.
Cette petite voix, elle me dit que ScPo offre parmi les meilleures formations de France. Et que si j'y suis entrée, c'est justement pour ne jamais être obligée de faire un métier détestable pour survivre.
Être à ScPo, c'est avoir la chance de pouvoir toujours tout remettre en question, y compris et surtout soi-même. C'est rencontrer des centaines de gens tous les ans. C'est être entouré de gens qui ont eu des expériences très différentes des nôtres. C'est l'opportunité merveilleuse d'avoir plusieurs années pour savoir ce qu'on veut faire de sa vie et un diplôme qui permet d'avoir plusieurs vies, parce qu'il est accueilli partout avec plusieurs points d'avance.
Alors, bien sûr, je suis prête à changer d'avis. Si je découvre une start-up originale qui crée des produits qui me plaisent, je serai ravie de travailler pour eux. Si la ville de Blois cherche du monde pour organiser les Rendez-vous de l'Histoire, j'adorerais participer. Si le Frère se présente en 2032, je deviendrai sûrement la conseillère de son adversaire.
Il y a plein de métiers qui n'existent pas encore. Aujourd'hui tout le monde recrute des "community managers", ces gens chargés de rendre l'image d'une marque cool, fun et sympa en écoutant les doléances des consommateurs sur Twitter. Ce job n'existait pas en 2009.
Donc j'espère bien que j'aurai plein d'occasions de changer d'avis et de m'impliquer dans des projets auxquels je n'ai jamais pensé.
Mais il y a une chose à laquelle je ne renoncerai pas.
C'est que je veux travailler dans une structure pour laquelle j'ai de l'estime.
Parce que si je fais ScPo, Monsieur C., c'est pour pouvoir aimer mon métier.
je compte sur toi pour avoir 20% de réduction sur toute une gamme de shampooings à la lavande toute ma vie :)
RépondreSupprimerVa donc sauver des vies avec Anne Lauvergeon et chanteons tous ensemble funkytown.
Il y a une table L'Oréal au gala ? Haaaan, pourquoi donc ne suis-je jamais au courant de rien ?
RépondreSupprimerJ'aime :D Surtout la dernière phrase <3
RépondreSupprimerJ'aime de plus en plus tes articles. J'aime aussi quand tu racontes ta vie mais tes réflexions sont vraiment très intéressantes. Enfin c'est impressionnant aussi de savoir ordonner ses pensées, ses envies, ses ambitions, tout ça, de savoir le mettre au clair, les exprimer et être sûre et certaine que c'est ÇA qu'on veut être/qu'on a envie de faire. Je suis pas sûre d'en être capable.
RépondreSupprimerEnfin en tout cas là pour ce qui est du master, belle réflexion (quant à ton choix) et belle détermination !
Un doute m'envahit : quand le Frère se présentera en 2032, tu seras auprès de son adversaire pour le soutenir ou pour qu'il se banane ? Rassure-moi ...
RépondreSupprimerTu peux éventuellement chercher chez UBS, à moins que d'avoir commercé de l'or juif et employé des travailleurs déportés pendant la 2nde guerre ne t’empêche d'avoir de l'estime pour eux..
RépondreSupprimertoo much?
-> Margaux : Oui il y a une table L'Oréal, c'était marqué dans le mail du BDE, ils disaient que si on voulait être spécialement à cette table ou à celle de la LCL (mais pourquoi donc Seigneur Dieu ?!) il fallait le leur dire par mail, mais j'ai supprimé leur message alors j'ai plus de preuve.
RépondreSupprimer-> Joana : C'est pas super ordonné en fait, j'ai aligné toutes les réflexions que je m'étais faites dans la journée après la conversation. Et non, je ne suis pas certaine que c'est forcément ça que je veux faire tout ma vie tout le temps. Mais c'est quelque chose que j'ai envie de faire à un moment, et puis que c'est la chose dont j'ai le + envie, autant commencer par ça, pour la suite je laisserai la vie me surprendre. En tout cas ton commentaire m'a fait très plaisir !
RépondreSupprimer-> M'man : Ah ben pour que l'adversaire perde, bien sûr !
RépondreSupprimer-> RJF : WAY TOO MUCH.
Mais continue de commenter =D !