"Espagne, 1937. Pendant que la Guerre Civile espagnole fait rage, un cirque ambulant tente de survivre. Pendant cette période tragique, deux clowns vont s'affronter jusqu'à la mort par amour pour une belle acrobate."
Je suis curieuse de savoir qui rédige les résumés des films pour le site des cinémas UGC. Osons espérer que c'est un pauvre stagiaire sous-payé. Sinon, quelqu'un d'encore plus exploité. Parce que sinon c'est un peu inquiétant pour la carrière du rédacteur.
Balada Triste ne se passe pas en 1937. La Guerre Civile est terminée depuis bien longtemps lorsque les deux clowns du synopsis se croisent. Et ils ne meurent pas.
Et pourtant, c'est vrai, toute la tragédie se noue en 1937. Et pourtant, c'est vrai, il y a deux morts à la fin.
Quand on a lu Antigone, on n'utilise plus le mot "tragédie" à la légère.
Ici, il n'y a certes pas de roi ni de reine, même si à la première lecture, j'avais compris "par amour pour une belle aristocrate". Mais il y a le destin de trois personnes qui une fois qu'elles se seront croisées, ne cesseront plus de se faire souffrir jusqu'au terrible et inexorable dénouement.
Non, c'est l'inverse de la tragédie classique. En théorie, il faut que les héros fassent tout pour échapper au destin. Ici, ils font tout pour que ça se passe très, très mal.
Ils, c'est Javier, Sergio et Natalia.
Javier, c'est le clown triste, "parce que tu as trop souffert, jamais tu ne feras rire les enfants" lui a dit son père, lui-même clown qui faisait rire son fils aux éclats avant de massacrer une garnison à coup de sabres et de finir aux travaux forcés piétiné par un cheval. Son premier partenaire de scène, c'est Sergio.
Sergio, c'est celui qui fait rire les enfants, "parce que sinon, je serais un assassin". Il vit avec Natalia, c'est la femme de sa vie.
Natalia, c'est l'acrobate lumineuse dont le nez saigne sous les coups de Sergio, qui se transforme le temps d'une balade interdite avec Javier en Mia Wallace ("la femme de Marsellus" dans Pulp Fiction) parce qu'elle se sent en sécurité avec lui, mais qui reste avec Sergio, parce que sinon il tuera Javier, parce que sinon il la tuera, parce que même si elle sait qu'il aurait mieux valu qu'elle ne le rencontre jamais, elle l'aime.
Balada Triste, c'est un film sur l'amour fou.
Pour vous, être fou d'amour, c'est peut-être dépenser tout son argent pour l'être aimé. Ou monter en haut d'une colline surmontée d'une église et rire en répétant que le ciel est jaune. Voire, comble de la folie, se marier et avoir des enfants.
Pour Javier et Sergio, être fous d'amour, c'est fracasser les côtes de l'adversaire à coups de maillet avant d'avoir le visage fracassé à coups de trompette.
C'est garder de force celle qu'on aime auprès de soi et l'enlever pour la forcer à danser alors qu'elle ne se sent plus du tout en sécurité entre vos bras.
C'est vivre nu dans la forêt, poser un fer à repasser sur ses joues, ne plus faire rire les enfants.
Balada Triste, c'est un film drôle.
Un film qui commence et qui s'achève dans la mort et qui arrache sans cesse des rires.
Autour du trio qui s'enfonce dans la folie, il y a tout un monde peuplé de gens fous également, un Monsieur Royal fauché qui se reconvertit dans le cabaret, un couple qui dort avec ses chiens, un motard qui veut voler, un militaire borgne qui veut venger son oeil, un dictateur qui s'indigne face à l'humiliation d'un homme.
Tout y est si absurde que le film se transforme en un immense chapiteau où tout est possible.
Si Javier n'avait pas suivi le conseil de son père pour être heureux, il aurait peut-être pu le devenir. C'est peut-être ça, tout compte fait, le message du film. Les papas peuvent se tromper, surtout quand eux aussi ils sont fous.
Javier serait devenu Auguste, le clown qui fait rire les enfants et qui me fait peur.
Je déteste les clowns.
Mais, puisqu'on n'en est plus à une absurdité près, j'ai adoré ce film.
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